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L'illusion de la performance.

Succès

Et si je vous disais que j’ai trouvé la recette, la méthodologie exacte pour conduire votre entreprise au succès en vous titillant avec quelques principes simples, mais percutants?

Fort à parier que vous tendriez l’oreille pour en savoir un peu plus, car qui ne veut pas faire de son entreprise un leader de son secteur? Comme toujours, personne n’est contre la vertu.

Mais y a-t-il vraiment une recette? C’est ce qu’examine le Dr Phil Rosenzweig dans son livre « The Halo Effect ».

Après les « In Search of Excellence », « Good to Great » et autres « Best Sellers » du même thème, je m’attendais à un déferlement de recettes stratégiques à appliquer pour mieux atteindre l’objectif ultime : le succès de l’entreprise.

J’ai littéralement dévoré cet ouvrage lorsque j’ai constaté que l’auteur attaquait le sujet sous un angle complètement différent par rapport aux ouvrages sur le même thème.

Je suggère cette lecture au gestionnaire qui souhaite performer, mais qui ne croit pas aux recettes rapides, toutes faites ou aux recettes, tout simplement. Chacun en tirera ses conclusions personnelles.

Sur la base de cet ouvrage, je vous fais part de ma vision sur le sujet de la performance et sur les biais possibles lorsque nous analysons un succès d’affaires. Je vous propose une brève réflexion sur trois thèmes :

  • L’inertie opérationnelle et le décalage entre l’action et le résultat
  • Le déterminisme et le hasard
  • La performance comme un combat d’entreprises dans leur globalité

Inertie opérationnelle

Démarrons avec une populaire équation soit « CEO de qualité = Entreprise à succès ». Pour stimuler votre réflexion, inversons maintenant l’égalité avec « Entreprise à succès = CEO de qualité ». Voilà déjà un indice de ce qui peut mener au déraillement d’une analyse et d’une perception d’affaires.

Sous ce type d’affirmation, une entreprise qui a du succès est automatiquement dirigée par un leader ou une équipe de direction de grande qualité. Toutefois, cette association rapide « Succès = Direction exceptionnelle » est plutôt, à mon sens, une explication simple et séduisante d’un constat d’affaires a posteriori, c’est-à-dire une fois les faits établis.

À titre d’exemple, je ne suis pas convaincu qu’un CEO, même très bon, est en mesure de redresser des dégâts de gestion majeurs, pas plus qu’un mauvais CEO est en mesure de détériorer gravement une situation d’entreprise florissante, dans des délais très courts, sur une période d’un an à titre référence. Tout dépend, bien sûr, de l’envergure de l’entreprise et de la nature de la situation de gestion au moment de la prise en charge par le nouveau chef de la direction.

Prenons un exemple en sens inverse: l’arrivée d’un nouveau CEO en poste depuis moins d’un an, soudainement accompagné d’un succès d’affaires retentissant en ayant propulsé, dans ce court délai, l’entreprise au firmament du succès dans son secteur.

Mais voilà, le nouveau CEO remplace un chef de la direction ayant appliqué au cours des cinq dernières années des réorientations stratégiques de marché et des restructurations opérationnelles majeures tant et si bien que sa cote de popularité ait atterri sous un seuil où la seule solution logique était de le congédier.

À qui doit-on associer le succès fulgurant de l’entreprise? L’ancien ou le nouveau CEO? Bonne question, n’est-ce pas?

Ces exemples expriment bien un premier principe à conserver à l’esprit lorsqu’on souhaite extraire certaines règles ou stratégies d’affaires ayant mené une entreprise au succès. Il faut s’assurer de mettre en perspective la situation d’affaires réelle, celle de terrain, au moment d’une transition et de l’arrivée d’une nouvelle direction.

Il faut toujours présumer qu’un résultat d’affaires est le fruit d’une série d’actions structurées l’ayant précédé, c’est-à-dire d’une séquence d’actions qui ne découlent pas nécessairement de décisions de la direction en place au moment de la constatation du succès.

S’il n’y a pas eu d’action structurée en amont, nous parlons alors d’un heureux, ou d’un désastreux, hasard, qui est un autre aspect intéressant.

Donc, qu’il soit petit ou grand, il y a toujours un décalage entre la mise en place d’une stratégie, l’application du plan d’action qui en découle et le résultat mesuré.

L’analyse d’un succès doit tenir compte de ce décalage temporel pour que les conclusions que vous en tiriez soient basées sur les vraies causes du succès et que vous puissiez appliquer les façons de faire pertinentes dans votre entreprise.

Déterminisme et hasard

Un autre aspect intéressant est la mouvance continuelle de l’environnement d’affaires d’une entreprise qui appelle la direction à une veille commerciale constante.

Ces changements fréquents de l’environnement commercial placent normalement le gestionnaire dans un état d’esprit ouvert du type « tout ce qui était vrai hier n’est peut-être plus vrai aujourd’hui » ou, encore, « le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir ».

C’est dans cette optique que s’introduit naturellement la notion de vision stratégique avec toute son importance dans le cadre d’un autre élément clé : la fenêtre de marché ou d’opportunité.

Évidemment, plus un gestionnaire voit loin et clair, plus il est en mesure d’identifier les tendances de fond de son secteur et plus il peut synchroniser son plan d’action stratégique de manière, en théorie, à optimiser son succès.

Toutefois, si le déploiement du plan d’action se déroule sur une longue période dans un contexte de mouvance continuelle du marché, la fenêtre d’opportunité se déplace également rapidement. Elle peut même disparaitre, de sorte que les probabilités de réussite d’un plan stratégique peuvent varier énormément dans le temps.

Par conséquent, ce n’est pas par « hasard » que j’ai parlé de « hasard » à la section précédente. Pour certains succès d’affaires répertoriés, le hasard peut être un acteur non négligeable et la notion de probabilité de succès d’un plan d’action peut finalement devenir la seule façon plausible d’envisager réellement ou d’expliquer une réussite d’affaires.

Dans une perspective probabiliste, il devient alors difficile de parler de recette menant au succès. Le mot « recette » étant communément vu comme un ensemble structuré de ressources et de façons de faire.

Nous pouvons tout au plus parler d’opportunisme encadré et, de là, davantage parler d’attitudes ou de comportements d’affaires facilitant le succès. Autrement dit, d’instaurer une façon d’être corporative qui favorise la mise en place de conditions optimisant l’opportunisme de l’entreprise.

Ainsi, la clé du succès n’est plus uniquement le niveau de qualité d’une vision stratégique qui permet d’avoir un « timing » idéal, mais surtout une façon de penser. Et nous voici maintenant sur la route sacrée de la culture d’entreprise.

Évidemment, mon point n’est pas de désavouer l’importance de la vision stratégique, bien au contraire. Je cible uniquement la notion de « recette » vue comme valeur absolue qui devient alors, à mon sens, une notion fragile pour le gestionnaire.

Donc, le deuxième principe lorsqu’on analyse un succès d’affaires pour en extraire quelques trucs applicables chez soi est la culture, le contenant, le cadre corporatif dans lequel la recette a été appliquée, qui peut être entièrement différent du nôtre de sorte que la même recette ne donnera pas les mêmes résultats. Une recette identique peut même créer une détérioration de votre situation au lieu de l’améliorer.

À titre d’exemple, prenez deux entreprises à succès et opérantes dans le même secteur. Une dont la culture de produit s’inscrit dans le raffinement extrême de ses caractéristiques avant la commercialisation et l’autre dont la culture est plutôt du type « pénétrons le marché avec les caractéristiques de base, nous complèterons par la suite ».

Si ces deux entreprises peuvent obtenir beaucoup de succès en s’échangeant, tour à tour, la première place de leur secteur, il est improbable que leurs stratégies corporatives respectives aient pu être interchangées et produire un succès équivalent pour chacune d’entre elles.

Un combat de machines

Comme troisième aspect, partons du fait que l’environnement d’affaires dans lequel une entreprise évolue soit peuplé d’une multitude de concurrents. Le succès d’une entreprise se mesure finalement comme sa capacité à devancer et battre les offres de ses concurrents sur le terrain.

C’est dans cette optique simple que nous pouvons réellement parler de performance d’affaires. Donc, de performances commerciales dans un le cadre d’une vision relativiste de la position de marché d’une entreprise par rapport à sa concurrence. En fait, nous parlons de performance sur la base d’entités globales lorsque nous parlons du succès d’entreprise.

En contrepartie, l’analyse des succès commerciaux a posteriori est souvent remise entre les mains de spécialistes de domaines précis (marketing, ingénierie, etc.). C’est à ce niveau qu’un biais important peut s’immiscer lorsqu’on croise une approche analytique verticale avec un résultat commercial lié à des performances organisationnelles globales.

L’approche cartésienne nous amène trop souvent à regarder le succès d’une entreprise sous un angle particulier, découpé, isolé, pour en tirer des mécaniques de gestion désintégrées du réel contexte dans lequel elles ont participé au succès de l’entreprise.

Une entreprise est un organisme multidimensionnel (R&D, marketing, financement, etc.) et c’est dans sa globalité organisationnelle qu’une entreprise à succès a réussi à battre concrètement sa compétition sur le terrain.

Sur l’échiquier commercial, tout devient finalement un combat de machines, un tout, dont l’agencement optimal des composantes organisationnelles devient la clé pour obtenir du succès.

Troisième principe : Dans une analyse des recettes ayant mené au succès d’une entreprise, on ne peut pas isoler un aspect organisationnel et en extraire des façons de faire sans risquer de passer complètement à côté des réelles dynamiques ayant généré le succès.

Avec une telle approche, vous pourriez implanter une méthode dont les effets seraient négatifs dans votre contexte, car les autres facettes de votre organisation ne seraient pas au même stade d’évolution organisationnel que celles de l’entreprise analysée.

Le stade d’évolution organisationnel est une autre notion fondamentale pour pouvoir mettre en perspective une stratégie qui a fonctionné dans une autre entreprise et évaluer sa possibilité d’application et son potentiel de levier dans votre entreprise.

En conclusion, dans l’arène commerciale l’entreprise compétitionne en tant qu’un « Tout » organisationnel. C’est ce « Tout » organisationnel (culture, technologie, vision stratégique, façons de faire, capacité d’adaptation, etc.) que le gestionnaire avisé doit continuellement optimiser pour accélérer et accroître la vitesse d’évolution de son entreprise.

J’aime toujours l’image du rallye automobile et des voitures, par analogie aux entreprises, qui y évoluent à différentes vitesses.

Quelle voiture est la plus dangereuse dans votre position de pilote si vous roulez à 120 km/h? Celle à 1 kilomètre en avant de vous qui roule à 100 km/h ou celle à 1 kilomètre derrière vous qui roule à 150 km/h?

Bien sûr, vous dépasserez éventuellement la voiture devant vous, mais vous vous ferez dépasser bien avant par celle derrière vous.

Améliorer constamment sa vitesse organisationnelle devient donc une prérogative pour performer et installer les conditions favorables au succès.

Notons qu’à un moment « T » de la course, la voiture en avant de vous représentait le succès et la performance.

Comme quoi la performance peut parfois être une illusion!

 

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